Les papilles ouvrent-elles les pupilles ?

Actualités - 18 févr. 2020

 

Les papilles ouvrent-elles les pupilles ?

Abriter un restaurant 3 étoiles au Michelin aide t-il ou oblige-t-il un hôtel qui en arbore 5 à proposer une architecture d’intérieur et une décoration d’exception ? La question peut donner le vertige, mais Laurent Petit, grand chef et directeur du Clos des Sens à Annecy, a pris de la hauteur pour répondre.     

Culture Agencement : Abriter un restaurant 3 étoiles au Michelin aide-t-il ou oblige-t-il un hôtel qui en arbore 5 à proposer une architecture d’intérieur et une décoration d’exception ? Et cela doit-il se concrétiser au travers d'un concept global cohérent entre les chambres, le lobby et la salle de restaurant, où doit-il y avoir une rupture volontaire entre ces divers espaces de vie ?

Laurent Petit : « Avoir 3 étoiles ne signifie pas forcément proposer la meilleure cuisine du monde, mais proposer une cuisine innovante, personnalisée et donc signée. Je défends la même idée pour l'hôtellerie, car le vrai luxe ne réside pas dans les seules étoiles décernées, dans la surface des chambres ou des écrans TV, mais dans la personnalisation de l'agencement et de la décoration des espaces communs (lobby notamment) et intimes (chambres, suites). Le Clos des Sens est devenu un hôtel par défaut, ou plus exactement par la volonté de valoriser notre expérience gastronomique en faisant dormir sur place nos clients du restaurant. J'ai obtenu 2 étoiles Michelin lorsque j'ai ouvert des chambres dans mon établissement, permettant de proposer une expérience non plus seulement de 3 heures à table, mais de 24 heures dans un environnement spécifique et dédié à un état d'esprit particulier, sublimant ce qui est dégusté dans nos assiettes. Il est donc nécessaire d'avoir un concept cohérent de l’agencement des espaces entre, d’une part, l’accueil et la salle du restaurant et, d’autre part, les divers espaces de l’hôtel. Cette cohérence doit s'appliquer au travers d'une personnalisation qui confère son caractère unique à l'ensemble. C'est sans doute pour cela que les établissements des grandes chaînes hôtelières obtiennent plus rarement et moins longtemps des étoiles au guide Michelin. Au Clos des Sens, notre spécificité de gastronomie végétale, lacustre et locale trouve un écho dans le choix de peintures écologiques et produites à Annecy, de vieux meubles rénovés et customisés par une entreprise de Chambéry, et d’une atmosphère cosy et naturelle, où le bois à une place importante, dans nos chambres, ceci sans tomber dans le poncif d’ambiance façon chalet de montagne.     

Culture Agencement : On constate depuis quelques années un renforcement de l'influence réciproque entre l'hôtellerie, notamment haut de gamme, et l'habitat domestique, la première voulant instaurer des ambiances de cocooning pour réconforter ses hôtes, le deuxième empruntant aux établissements étoilés des éléments de décoration ou de mobilier afin de créer un cadre personnalisé. Quel regard portez-vous sur cette tendance ?  

Laurent Petit : Il est manifeste que l'hôtellerie s'inspire de plus en plus des atmosphères et des tendances ressenties dans les habitats domestiques. J'ai résidé il y a quelques temps dans un hôtel à Bâle en Suisse, et j'ai été agréablement surpris de constater la présence dans ma chambre d'un bureau avec une machine à écrire, de bouquins divers, et même de photos de famille. Ainsi, la mise en place des éléments de détails très riches de sens est aussi importante que l'ameublement et la décoration pour instaurer des ambiances réconfortantes, dans la mouvance de ce qu’on appelle le cocooning.

Culture Agencement : Quelles sont selon vous les limites de cette influence réciproque ? Et doit-elle aussi se manifester en matière de cuisine, avec l'intégration de petits ensembles dans les suites d'hôtel ou dans des appartements de résidence éphémère de luxe, et à l’inverse, avec la réalisation de cuisine d'inspiration professionnelle chez les particuliers ?

Laurent Petit : En guise de réponse, je vais vous raconter une autre expérience personnelle. Il y a deux mois, avec des amis, nous avons loué à Courchevel un appartement avec trois chambres, un salon et une cuisine. J'ai trouvé cette formule intéressante. Nous avons utilisé tous les espaces sauf la cuisine, et je pense que c'est là que réside la limite de l'influence de l'habitat domestique sur les lieux de vie éphémère. Cuisiner dans une chambre ou une suite d'hôtel pose le problème des odeurs de la cuisson et de la place nécessaire pour la préparation des plats. 

Quant à l'intégration de cuisine dite professionnelle dans les foyers domestiques, je pense qu'il s'agit avant tout de marketing. En effet, si l'emploi de l'inox, matériau qui présente les avantages esthétiques variés, ou le choix d'un agencement sobre peuvent se justifier, en revanche, leur intégration et leur usage réels nécessitent une place trop vaste pour les espaces dédiés à la cuisine chez les particuliers. La facilité de circulation est en effet un élément essentiel dans les cuisines des restaurants dans lesquelles travaillent des brigades de plusieurs personnes. Il est impératif de disposer de plusieurs mètres carrés de plans de travail que l'on peut salir pour organiser la réalisation des plats. »    

Propos recueillis par Jérôme Alberola

La semaine prochaine, dans notre magazine associé Culture Cuisine, Laurent Petit donnera sa recette de la cuisine équipée idéale.

 

 

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