Bibliothèques sublimes, table brillante et panache français

Actualités - 31 oct. 2023

Rappeler qu'il n'y a pas d'architecture sans ouvrage, ni sans maître d'œuvre, serait un poncif si l'on ne prenait pas ces mots dans leur acception de livres. Livres, bien sûr, au sens de traités d'architecture, depuis De architectura du latin Vitruve jusqu’aux beaux recueils illustrés d’aujourd’hui. Mais circonscrire l'intérêt des architectes aux seuls livres dédiés à leur domaine de prédilection serait réducteur et oublier que l'inspiration se nourrit de fertilisation croisée et de réflexions transversales, y compris sociétales. Exemples ici en commençant par un livre sur l’écrin… des livres.

Libraries : les plus belles bibliothèques du monde de Massimo Listri (Taschen, 2023)

Depuis les somptueuses salles de l’ancienne Alexandrie au plafond à caissons de la Morgan Library, à New York, les hommes entretiennent un lien étroit avec les bibliothèques. Comme aucun autre concept ou lieu, ces sommes de savoir, de connaissances et de rêverie offrent des possibilités infinies. Ils sont les royaumes incomparables de la découverte, où chaque manuscrit défraîchi, chaque volume finement relié contient une idée nouvelle et révolutionnaire, un imaginaire sans limites, une croyance ancestrale ou une foi religieuse, ou même une nouvelle manière d'exister.

Conçu tel un voyage en images, le livre de Massimo Listri parcourt bon nombre des plus vieilles et des plus belles bibliothèques au monde pour en révéler les merveilles architecturales, historiques et créatives. Le lecteur est ainsi guidé en visite privée – voire intime dans ces lieux de silence - derrière les lourdes portes de bois, à travers les escaliers en colimaçon et les couloirs tapissés d’étagères de grandes bibliothèques privées, publiques, éducatives et monastiques, dont la plus ancienne remonte à 766.

Entre recueil de merveilleux objets bibliophiliques, ode à la connaissance et évocation de la magie particulière qui entoure les livres, cette édition compacte de Taschen, éditeur renommé de beaux livres, est avant tout un pèlerinage culturel et historique au cœur de ces hauts lieux du savoir. Le texte, plein d’érudition et de passion, est illustré superbement avec une iconographie révélant la beauté des ensembles et la pertinence des détails.

La peau sur la table de Marion Messina (Fayard, 2023)

Dans une France en état d'extrême tension, La peau sur la table suit les trajectoires de plusieurs personnages que rien ne liait jusqu'alors, mais que la faillite d'un système basé sur l'individualisme va obliger à réinventer de nouvelles solidarités. Écrit avec un style ciselé tout en restant facile d’accès (qualité réelle en ces temps d’amphigourisme narcissique ou snob), et avec un sens saisissant de la formule lapidaire, ce roman, que l’auteure qualifie d’anticipation, brille par sa noirceur assumée, décrivant le parcours chaotique de personnages déclassés, déplacés et en quête vaine, dans les deux acception, de sens dans leur vie. D’aucuns estimeront ad nauseam ou exagérées les descriptions crues de ces vies négatives et sans soleil. Malgré la force des mots de Marion Messina, on peut gager que les destins quotidiens et états d’âme de ses personnages ne sont pas pires que les vies réelles de nombre de personnes, invisibles ou qu’on ne veut pas voir, qui sont tout autant tangibles dans la société actuelle - et non anticipée celle-là – qui est la nôtre.

Depuis Balzac, Zola, Dickens ou Twain, on sait que les romans sont les meilleurs ouvrages de sociologie. De fait, autant remarquable que marquant l'esprit après l’avoir achevé, La  peau sur la table fait penser à Houellebecq, forcément. On n’en reste pas moins impressionné par la maturité de vue d’une auteure pas encore trentenaire. Amateurs de feel good movies et de livres-pour-se-faire-du-bien, passez donc votre chemin de rose, si vous souhaitez continuer de rêver les yeux grands fermés d’un présent irénique.

Dictionnaire égoïste du panache français de François Ceresa (Le Cherche-Midi) 

Comment dit-on « panache » en anglais, en espagnol ou en suédois ? C’est bien simple : on ne le dit pas. Car cette notion si spéciale qui mêle le courage et l’élégance à la mélancolique flamboyance des causes perdues n’existe que dans la langue de Molière, Racine, Hugo, etc. Avec ce Dictionnaire, François Cérésa en propose une définition aux multiples facettes. En cinquante-deux portraits de personnages qui ne se sont jamais résignés aux diktats de leurs contemporains, jamais conformés aux règles de leur époque, il cerne ce qui fait l’essence même du panache. Chacun à sa façon, Brigitte Bardot, Jacques Anquetil, Charles de Gaulle, Georges Clemenceau, Louise Michel, Jean-Paul Belmondo, Coco Chanel ou Jeanne d’Arc l’incarnent.
Un ouvrage à la fois érudit et drôle, une balade buissonnière dans l’histoire et la culture françaises, porté par un style vif où les accalmies nostalgiques succèdent aux accélérations ironiques. « Dans une époque terrorisée par le mot ou le geste de trop » et marquée par un conformisme frileux, le livre de François Cérésa rappelle que, « sans panache, une existence n’est qu’une vie et non un destin ». Des vies et des leçons de vie qui pourraient inspirer tout créateurs de mobilier ou d’espace de vie, domestique ou hôteliers et les encourager à se montrer audacieux en libérant leur créativité pour distinguer leurs projets réalisés et séduite ainsi autant leurs clients que leurs utilisateurs.     

J.A  

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